Agos Conseil

Ticherka ou l’élevage solidaire au Maroc

Sticky Post
18

Déc 2021

Comment faire pour devenir propriétaire d’une vache quand on est un simple berger ? Et que le crédit bancaire reste inaccessible faute de pouvoir donner une garantie ?

Et bien, il y a une solution, elle consiste en une association entre un propriétaire de bétail et un berger sans troupeau. Le propriétaire va prêter au berger un animal femelle (vache, brebis ou chèvre) et financer l’achat des intrants (fourrage, médicaments…). Le berger éleveur va mobiliser son savoir-faire et son travail pour s’occuper de la bête qui donnera naissance à des petits. Le fruit de l’association sera le bénéfice de la vente de la descendance et l’augmentation du patrimoine des deux associés à travers l’agrandissement du troupeau. A la fin, le berger éleveur rend l’animal prêté à son propriétaire pour rembourser son prêt, ce qui met un terme à l’association.

Puisée dans les traditions marocaines de l’économie rurale, cette pratique de financement solidaire connue sous le nom de « Ticherka », est destinée à aider les membres en difficulté d’une communauté. En facilitant l’accès à la propriété d’animaux d’élevage, elle permet à un éleveur sans troupeau d’améliorer sa situation économique et d’évoluer vers l’autonomie financière.

En Afrique sahélienne, les éleveurs de zébus Peuls du Nord-Niger pratiquent « Habbanaé » un système similaire qui peut être traduit par « prêt de l’amitié ». Lorsqu’un éleveur perd son troupeau, les autres éleveurs du clan lui offrent chacun une génisse pleine (enceinte). Trois ans plus tard, cet éleveur restituera à chacun d’eux une génisse pleine de la même lignée. La force de cet échange réside dans le fait qu’il repose sur la parole donnée, sans aucune garantie.

Au Maroc, Ticherka est pratiquée depuis longtemps essentiellement dans le zones montagneuses de l’Atlas. Pour mieux comprendre cette pratique, nous allons prendre un exemple.

Amine est propriétaire d’un troupeau de bovins. Souhail est un berger qui souhaite acquérir une bête pour commencer à se constituer un troupeau

Amine prête à Souhail une jeune vache âgée de moins de 18 mois (Figure 1). Le berger s’occupe de l’animal, la fait paître ou lui donne de la nourriture. Le fourrage et les intrants nécessaires à l’élevage de la vache sont achetés par le propriétaire Amine.

Figure 1 : Prêt de la vache

Afin de féconder la vache, le berger Souhail la met au contact d’un taureau emprunté à un propriétaire au village. La vache fécondée donne naissance à un premier veau (Figure 2). La propriété de ce premier veau revient à 100% au berger Souhail.

Figure 2 : Naissance du 1er veau

Suite à un second accouplement, la vache donne naissance à un second veau. Cette fois, la propriété du 2è veau est partagée à 50/50 entre les 2 associés (Figure 3).

Figure 3 : naissance du 2è veau, partage à 50/50

Les associés peuvent ensuite se vendre ce second veau entre eux, selon 2 cas de figure ; soit le berger rachète sa part au propriétaire et devient propriétaire à 100% du veau, soit le propriétaire rachète le veau au berger (Figure 4).

Figure 4 : vente du 2è veau entre les associés

Six mois après la naissance du 2è veau, les 2 associés ont le choix soit de mettre fin à l’association, soit de la poursuivre. Lorsque le berger rend au propriétaire la vache prêtée, Ticherka s’arrête (Figure 5). S’ils continuent « Ticherka », la propriété de la future descendance continue à être partagée entre les 2 associés, comme nous l’avons vue précédemment.

Figure 5 : Fin de l’association

Cette pratique, équitable et solidaire est gagnante pour les 2 parties. Le propriétaire s’enrichit du produit de la vente des jeunes animaux et récupère au terme de l’association une vache engraissée. Le berger devient propriétaire du 1er veau et perçoit des revenus de la vente des veaux suivants, en rémunération de son travail de berger.

Le même principe peut être appliqué pour les moutons ou les chèvres. Dans ce cas, la première portée d’agneaux ou de chevreaux qui naissent est directement partagée entre les 2 associés.

On trouve aussi l’application de « Ticherka » dans la culture d’une terre. Dans ce cas, le propriétaire d’une parcelle la met à disposition d’un paysan qui la cultive pendant toute la durée d’une saison agricole (de septembre à août). Le produit de la vente de la récolte sera alors partagée équitablement entre les 2 associés.

Contrairement au servage ou au travail salarié, ce système n’induit pas d’asservissement, mais permet à l’éleveur de garder sa liberté et son autonomie sur la gestion et le développement de son activité.

En sortant les pauvres de la précarité, Ticherka couvre le risque d’infraction aux règles de vie collectives (vol ou dégradation des biens) et favorise la paix au sein du village. Ainsi, Au-delà de sa dimension économique et matérielle, cette pratique d’entraide permet donc d’assurer la continuité et la cohésion de la communauté par le développement de liens sociaux et le maintien des valeurs du groupe.

Article rédigé avec l’aimable participation de Khadija ERRAIS, de Rachid MANDILI et de Jean-Louis BOULAY

One thought on “Ticherka ou l’élevage solidaire au Maroc

  • MYA

    Génial que cette pratique ancestrale puisse se poursuivre et être vulgarisée. Merci Anne

    Reply

Laissez une réponse